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“Désarmer la haine et le mépris” ou le pari de la paix : article paru dans "Le Journal du Pays Basque" du 21 mai 2013


LE JOURNAL DU PAYS BASQUE 21 MAI 2013

Sujet à la une
“Désarmer la haine et le mépris”
ou le pari de la paix

21/05/2013
Béatrice MOLLE

On a assisté à quelque chose de rarissime”, dira l’un des intervenants de la rencontre organisée jeudi dernier sous les auspices du collectif de chrétiens en faveur de la paix au Pays Basque à la maison diocésaine de Bayonne. Thème choisi : “La parole aux diverses victimes du conflit basque.” Juriste, avocate de prisonniers politiques basques, victimes d’attentats d’Iparretarrak et ex-prisonniers de cette organisation ont pris la parole. Et la soirée fut dense. Devant un auditoire recueilli, les interventions des uns et des autres ont fait mouche. Pas de détails croustillants, mais des chemins de vies si différents et si semblables à la fois. Avec comme dénominateur commun la souffrance, forcément au centre du conflit. Le prêtre Mikel Epalza a expliqué le sens de cette démarche dénommé Atxik Berrituz, souhaitant apporter son soutien au processus de paix : “Il est plus que jamais important de dire la richesse historique de ce chemin de paix autant en Iparralde qu’en Hegoalde. Mais le chemin de paix est toujours fragile. La justice, c’est le respect des victimes, des preso, des réfugiés. Les gouvernements ont un rôle essentiel. Ce soir, nous donnons la parole aux victimes des deux côtés, nous n’allons pas résoudre les problèmes. Mais déjà désarmer la haine et le mépris, c’est donner une chance à la paix.”

Être né quelque part

“J’aurais pu être né à Baigorri et m’appeler Philippe, ou à Bayonne et m’appeler Gabi. Je sors de Socoa, je vis à Socoa, je suis fils de pêcheurs baptisé par l’abbé Larzabal. Tous les trois, on se ressemble et on est le résultat de là où l’on vient.” Ainsi s’est exprimé Jean-Pierre Marin.
En 1992, il a eu une partie de sa maison dévastée lors d’un attentat revendiqué par Iparretarrak : “Je ne pensais pas que 21 ans après, cette cicatrice aurait pu s’ouvrir à nouveau. Le temps efface, on pardonne, mais je suis demandeur d’une discussion, d’un échange. En fonction de cet échange, on peut aller plus loin, comme l’a expliqué la juriste. Moi, une fois, je me suis mis à nu à un biltzar de maires à Arbonne. J’avais demandé à témoigner. Aujourd’hui, je le fais à nouveau devant vous. Peut-être celui qui a commandé ou posé la bombe chez moi est là, je ne sais pas qui c’est, mais je suis demandeur, avec le temps qui est passé, d’une discussion et, en fonction de cet échange, on peut aller plus loin et même arriver jusqu’au pardon et éventuellement je suis prêt à serrer la main à cette personne si cela peut faire avancer l’histoire”, dira-t-il.

La vie d’après
Nicole et Joxep, un couple qui lors de cet attentat avait un de leurs enfants qui dormait chez Jean-Pierre Marin, racontent cette nuit agitée, les enfants qui devaient dormir dans le salon dévasté et qui heureusement étaient à l’étage. Ils racontent l’après, l’immense peur rétroactivement, les diverses réactions des uns et des autres, l’attitude “silencieuse” de l’Église qui les a surpris. Et puis leur idée de créer une association, Atentaturik Ez, afin de condamner tous les attentats d’où qu’ils viennent, rendre visite aux victimes, refuser toute manipulation politique. “Pour nous, c’était une démarche humaine et chrétienne, pour montrer à nos enfants que nous savions dire non. Nous parlions à nos enfants en basque et cela a continué car cet attentat n’a pas détruit notre attachement au Pays Basque. Nous sommes contents parce que ce soir nous avons une place comme victimes.”

L’écoute sans jugement

Dans la salle, un homme se lève. Philippe Lesgourgues se présente comme ancien militant d’Iparretarrak, acteur et auteur d’attentats et ex-prisonnier. Il parle de la reconstruction et de la nécessaire écoute des uns et des autres sans jugement : “Je ne vais pas dire que nous sommes des victimes, nous, mais quelque part, oui, en tant que femmes et hommes d’un peuple. Je n’ai jamais pu parler devant un auditoire et être en face de victimes. Pourquoi aller poser une bombe dans une maison ? Quelles sont les conditions qui ont créé ce climat ? Il faudrait beaucoup plus de temps pour expliquer cela. Je dirais qu’aller poser un paquet ou mitrailler, ce n’est pas par gaîté de cœur, cela ne se fait pas tout seul. On dira ‘vous pouviez ne pas le faire’, mais si vous restez à la maison, votre identité, elle disparaît. Moi, j’ai vu à côté de moi un camarade qui a explosé, un autre avec une jambe coupée et j’ai été obligé de partir. Tout ça, c’est un magma qu’il faut arriver à filtrer. C’est nous qui avons décidé d’arrêter, car il le fallait. Si ETA a décidé d’arrêter, si IK a décidé d’arrêter, c’est pas comme ça, c’est venu d’en bas aussi. Stop ! On va essayer de changer. Je ne sais pas si cela va marcher. Pour l’instant, cela ne marche pas, mais on va continuer à le faire jusqu’au bout. C’est très émotif, merci de m’avoir écouté ! Nous sommes dans un processus de paix, mais il faut être deux pour que cela marche.”

Témoignage de Gabi Mouesca

L’ancien militant d’Iparretarrak Gabi Mouesca a déclaré ne pas se considérer comme une victime. “La prison, comme la mort ou les blessures, cela fait partie, excusez-moi du terme générique, des ‘accidents du travail’. Beaucoup de prisonniers se sentent blessés lorsqu’on les nomme comme les victimes du conflit actuel.” Coup de gueule aussi pour Gabi Mouesca indiquant avoir rencontré des hauts responsables politiques français qui lui ont dit qu’“il n’y avait pas de conflit au Pays Basque français. Je ne demande pas que l’on reconnaisse ma souffrance et celle des militants d’IK. Mais je trouve abject cette attitude négationniste qui nie la violence subie par les victimes”, tout en soulignant qu’à l’origine des attentats dont il était solidaire même en prison, il y avait un terreau politique. L’ancien militant a déclaré avoir trouvé tout simplement “très beaux” Jean-Pierre, Nicole et Joxep dans “leur humanité”. Gabi Mouesca a plaidé pour que ce type de rencontres se multiplient afin d’instaurer “une culture de la paix basée sur la vérité et non sur l’oubli”.

“Toutes les victimes ne sont pas égales”

Me Maritxu Paulus-Basurco est l’une des avocates des prisonniers politiques basques. “Je suis témoin de beaucoup de souffrances. De ceux et celles qui ne sont pas considérés comme des victimes, mais pourtant qui le sont”, déclarera en préambule la jeune avocate, ajoutant que toutes les victimes ne sont pas égales. Et de se remémorer une femme qu’elle assistait qui avait vu son mari “se faire exploser”. L’un des auteurs de l’attentat a comparu devant la cour d’assises de Pau et Me Paulus-Basurco se rappelle que le parquet avait eu des mots terribles contre elle, indiquant qu’elle avait peut-être mérité son sort. “Sa souffrance, elle l’a gardée pour elle. Il va falloir parler de toutes les victimes. L’auteur de l’attentat est sorti, lui, très vite de prison”, lance-t-elle.

Jon Anza

L’avocate a également évoqué le cas de Jon Anza, militant basque disparu puis retrouvé mort, dont elle défend les intérêts de la famille : “Cette famille n’a jamais été considérée par le gouvernement et les pouvoirs judiciaires comme victime. La famille n’a jamais été reçue par le ministère de la Justice. C’est seulement à la fin de la procédure que le juge chargé du dossier a reçu la famille, ce qui est le témoignage d’un profond dédain.”

Situation grave

Me Paulus-Basurco a souligné la situation extrêmement grave dans les prisons avec des peines de plus en plus longues. Et de citer le cas d’un prisonnier placé en quartier disciplinaire pour un incident mineur, mis à nu et avec des toilettes qui ne fonctionnaient pas. Et cela pendant une semaine. “En tant que témoin privilégié, on peut vous dire que l’on ne va pas vers la paix”, remarque-t-elle. Et de citer encore le cas de Xabier López Peña, prisonnier malade décédé dans des circonstances troubles : “Les autorités françaises n’ont pas eu la dignité élémentaire de prévenir sa famille.” Pour l’avocate, cela n’est pas si simple : il n’y a pas des victimes d’un côté et des auteurs de l’autre. Et bon nombre de prisonniers sont des enfants de personnes assassinées par le GAL. L’avocate indiquera aussi que durant toutes ces années auprès de ces personnes qui ne sont pas qualifiées de victimes, elle n’a jamais vu de haine de leur part. “Les personnes que l’on défend disent toujours lors de leur procès qu’ils ne reconnaissent pas le tribunal mais qu’ils souhaitent répondre de leurs actes devant leur peuple”, remarque-t-elle.

“Accepter de se mettre à nu”

Magalie Besse est enseignante de droit à la faculté de Bayonne et travaille avec l’universitaire Jean-Paul Massias. Lors de cette soirée, elle a livré des réflexions “personnelles”. “J’ai un regard extérieur, je vis ici depuis cinq ans et j’ai remarqué le silence sur ce sujet.” Elle a insisté sur l’importance d’oser faire le pari de la confiance en prônant “la rencontre et le dialogue entre les victimes et les auteurs”.
Pour Magalie Besse, la rencontre et le dialogue sont possibles sous trois conditions : une dimension “gagnant-gagnant”, à un moment propice du conflit. Accepter de rencontrer quelqu’un, c’est accepter de se réconcilier. Réconcilier, ce n’est pas pardonner. Et pardonner, si cela se fait, n’est pas oublier. Troisième condition : ne pas “surestimer” le conflit.
“Si des gens ont pu se parler en Afrique du Sud et au Rwanda, il faut penser que cela est possible au Pays Basque”, ajoute la jeune femme. Autre point abordé, les violations des droits humains dans le cadre d’un conflit et leur nécessaire réparation. La rencontre et le dialogue vont permettre à chacun de s’exprimer et de construire la vérité. Il y aura ainsi des répercussions pour les victimes –  directes et indirectes – du conflit, souligne-t-elle. “La violence, ce n’est pas seulement les attentats, il faut dépasser la violence culturelle”, explique-t-elle, car la violence va générer dans toute la société des schémas de pensée, elle sera un moyen “de régler les différends et la différence”.
Considérer celui qui ne pense pas comme soi comme un ennemi est un problème car ces idées-là sont “incompatibles” avec la société et la vie en démocratie.
Magalie Besse reconnaît que la réconciliation, “c’est très beau en théorie”, mais difficile à mettre en œuvre. Le dialogue et la rencontre nécessitent “un courage absolu pour la victime et l’auteur”.

Rencontres pour une démarche de paix

“L’objet de notre soirée est de créer un lieu d’expression et d’écoute de la souffrance. Ici, nous incluons toutes les victimes d’ETA, d’Iparretarrak, des groupes parapoliciers et de ce qu’il faudrait appeler le terrorisme d’État”, a déclaré lors de la soirée l’un des organisateurs, Peio Ospital. La déclaration historique d’ETA le 20 octobre 2011 de fin définitive de ses actions armées a permis de décrisper le climat et de multiplier les initiatives en faveur du processus de paix.

Cette soirée organisée par le collectif de chrétiens en faveur de la paix s’est terminée par un temps de prière et l’annonce d’un nouveau rendez-vous, le 10 novembre prochain, à l’abbaye de Belloc à 15 h 30. Ce jour-là sera consacré à un message de Mgr Uriarte, évêque émérite de Donostia, suivi de chants et de poèmes.



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